C’est au soir d’une représentation du Malade imaginaire que Molière, qui jouait le rôle-titre, tire sa révérence pour de bon. Cette pièce qui moque la médecine et se gargarise de la naïveté humaine conserve toute sa modernité humoristique et satirique.
Hypocondrie classique
Le malade imaginaire réside parmi les pièces les plus célèbres, et les plus jouées encore aujourd’hui, écrites par Molière. Comme L’Avare, la modernité indiscutable de sa satire et la méchanceté tout en douceur de ses protagonistes bouffons en font une œuvre que l’on ne se lasse pas de voir et de revoir, de lire et de relire.
Qui ne connaît pas Argan ? Âgé de 50 ans, l’homme se croit atteint de tous les maux. Nul doute que le trou de la Sécu, c’est lui ! Il enrichit ses deux médecins, Diafoirus et Purgon, ainsi que leurs pharmaciens. Tout ce petit monde le mène en bateau à coups de diagnostics sombres et de traitements faussement médicamenteux.
Richissime, Argan aimerait bien marier sa fille Angélique au fils du docteur Diafoirus, histoire d’avoir un praticien à domicile. Veuf, il s’est remarié avec Béline qui, elle, n’espère qu’une chose : sa mort, sa fille mise au couvent, et donc son argent. Voilà une belle et sympathique petite famille.
Le texte intégral de la pièce peut être lu ici.
Le malade imaginaire et le vrai mourant
Trentième et dernière comédie de Molière, Le malade imaginaire a la particularité d’être une comédie-ballet. Marc-Antoine Charpentier a composé les morceaux musicaux qui accompagnent les fins des deuxième et troisième actes, parties chorégraphiées par Pierre Beauchamp.
L’autre spécificité de cette pièce, c’est qu’elle est indissolublement liée au destin de son auteur. Jean-Baptiste Poquelin n’est certes pas mort sur scène, mais il est vrai qu’il a agonisé durant une représentation de sa pièce, le soir du 17 février 1673 où il jouait… Argan, le malade imaginaire !
Sur la scène de Palais-Royal, le comédien-dramaturge est pris d’une convulsion, qu’il dissimule sous des sourires forcés. Ses partenaires s’en rendent compte, réclament le baisser de rideau. Molière est transporté chez lui où il succombe à cette infection des poumons qui le rongeait depuis des années.
Au-delà de l’ironie qu’il y eut à jouer un malade imaginaire bel et bien souffrant, la mort de Molière au sortir des planches confère à cette pièce une émotion et une gravité qui n’a pas été remise en cause depuis.
Santé !
L’œuvre reste une satire particulièrement féroce du monde de la médecine. Les docteurs sollicités par Argan profitent de la naïveté d’un bonhomme acariâtre qui n’a de véritable maladie que l’hypocondrie.
Le langage médical, son jargon prétentieux et ses termes anxiogènes, sont égratignés par la plume de Molière changée en bistouri. Ses praticiens sont de pacotille et se remplissent les poches à mesure qu’ils bourrent d’âneries la tête de leur patient.
De plus, n’importe qui peut devenir médecin : il suffit d’en endosser l’habit ! Pour épouser la fille d’Argan, Cléante consent à se faire médecin. « Il n’y a pas besoin d’études », lui réplique-t-on lorsqu’il exprime des doutes, « en recevant la robe et le bonnet, tout galimatias devient savant, et toute sottise devient raison ».
Peur de la mort, amour de la vie
Perpétuel inquiet qui cherche l’affection et l’attention de ses proches, notamment de ses deux filles Angélique et Louison, Argan est surtout un personnage très moderne. Son angoisse face au vide de sa vie pourrait bien refléter ce mal existentiel qui touche nos sociétés contemporaines.
Derrière le bouffon égoïste et grotesque, Argan est bel et bien un personnage profondément humain. Comme nous tous, il craint la mort ; et c’est précisément parce qu’il en a peur, de la mort, qu’il faut bien en rire un peu.